Paroles de travailleur·euses de la région de Saint-Nazaire
Avec la Compagnie Pourquoi se lever le matin ! le CCP poursuit un travail pour donner à voir, à comprendre et discuter le travail, à mettre en évidence les rapports que le travail entretient avec son environnement géographique, historique, socioculturel.
Après avoir donné la parole à des travailleur·euses de la région de Saint-Nazaire, cité marquée par sa vocation portuaire et industrielle et riche d’une culture ouvrière omniprésente, nous ouvrons le temps de restituer ces récits de travail.
Nous organisons de nombreuses lectures publiques où vous pourrez entendre des extraits de ces récits de travail.
Voici un avant-goût de ce que vous pourrez entendre avec quelques citations.
Ouvriers, paysans
« Les chantiers, c’est toute une vie » – Itinéraires d’un attineur
Yvan, magasinier aux Chantiers
J’entends le bruit des masses, les chocs de tôles, les alarmes des portiques et leur klaxon qui signale le moment où ils lèvent la charge, le vacarme des véhicules, munis d’un bras articulé, qui transportent le matériel. On appelle ça des « traînes ». Les tôles placées sur le chariot claquent à chaque cahot. Et puis, il y a le gaz du fil fourré, en fusion avec la céramique qui sert à envelopper la soudure au fur et à mesure qu’elle avance. C’est âcre, ça prend à la gorge.
Lire l’extrait du récit d’Yvan
« Ce jour-là, je n’ai pas fait de sel… »
Perrine, paludière
Au mois d’août, il y a eu une belle fenêtre. On s’est dit : « Allez, ça va partir ». En fait, l’eau des circuits était tellement peu salée… Pour le moral c’était très dur. Quand le premier sel arrive, c’est la fête, c’est la récompense, le fruit de ton travail. Et en plus, c’est beau. Ça y est ! Tu enlèves les bottes tu n’es plus dans la vase, tu es dans le sel… Et non, la saison passée, ce moment n’est jamais venu, ou très peu. Il faut espérer qu’on ne soit pas dans une vague de mauvaises saisons.
Lire l’extrait du récit de Perrine
L’estuaire et les torchères
Jérémy, opérateur extérieur sur un site industriel
Si les gaz en surpression s’échappaient à l’air libre, on aurait des nappes incontrôlées, qui pourraient s’enflammer à tout moment. Pour éviter ce phénomène, les gaz sont récupérés à la sortie des soupapes et dirigés vers les torchères, qui sont allumées en permanence. Et on est particulièrement vigilant par rapport à l’électricité statique, ou aux orages pendant les chargements et déchargements. Ici, tout le monde se souvient du Princess Irene, un pétrolier qui avait explosé en août 1972.
Lire l’extrait du récit de Jérémy
Voyage au cœur d’un navire en construction
Emmanuel, responsable sécurité à bord, aux Chantiers de l’Atlantique
Je me souviens d’une équipe de peintres grecs. J’étais allé les voir de nuit dans le bas du navire pour vérifier avec eux leurs conditions de travail. Je suis retourné les voir plusieurs fois. Chaque fois ils me faisaient comprendre qu’ils étaient heureux de me revoir, de sentir qu’on s’occupait d’eux. Nous ne parlions pas la même langue, mais leurs sourires quand ils levaient le pouce étaient le signe que nous nous étions compris.
Lire l’extrait du récit d’Emmanuel
La ville
À Saint-Nazaire, un lycée qui ne ressemble pas à un lycée
Mickael, membre de l’équipe éducative du Lycée Expérimental
En cas de difficulté d’apprentissage scolaire, la sanction est la confrontation avec ses propres lacunes. Ça peut être très violent. La fuite et le déni sont faciles. La réponse de la communauté éducative est alors l’attention portée à l’autre, le respect des rythmes de chacun. Il est arrivé qu’un élève ne s’occupe que de la cafétéria pendant plusieurs semaines. Mais il a fallu qu’il consente à en parler dans son groupe de suivi.
Lire l’extrait du récit de Mickaël
« Faire ensemble » autre chose que le travail tout en gardant la solidarité qu’on trouve dans le travail
Antoine, régisseur général à la mairie de Saint-Nazaire
Ce qui compte, à mes yeux, c’est moins le prestige de l’événement, ou sa taille en termes de budget et de fréquentation, que la qualité des gens qui l’organisent. Ils n’ont parfois aucune idée de la technicité de ce qu’ils demandent, de l’ampleur des moyens qu’il faudra mobiliser. Mais ils ont la passion. Ils ont des rêves, des idées. Et j’aime les aider à s’approcher au plus près de l’idée qu’ils s’en faisaient au départ.
Lire l’extrait du récit d’Antoine
Libraire engagée dans la ville
Agathe, libraire indépendante en SCOP
Je vais donc tous les ans, en mars, présenter trois ou quatre livres par tranche d’âge devant les salariés de la commission famille du CE. Je peux ainsi infuser des choses à ma manière. Par exemple, dans la sélection que je leur présente cette année, j’ai un livre d’une toute petite maison nantaise (« Six citrons acides »). S’ils en achètent vingt ou vingt-cinq pour les enfants des salariés, je trouve que je suis dans mon rôle de passeuse au sein de la ville.
Lire l’extrait du récit d’Agathe
« Je cherche à ce que la fascination que j’éprouve pour ce territoire industrialo-portuaire embarque les visiteurs »
Aurélie, guide-conférencière à « Saint-Nazaire Renversante »
Ici, tout est gigantesque. Et, directement immergés dans cet espace hors de proportion, les visiteurs peuvent éprouver concrètement ce rapport entre leur propre taille et l’immense masse qui se dresse devant eux et s’impose soudain à leur regard. Je vois les doigts qui se tendent, les gens qui se parlent, les expressions totalement subjuguées par le navire dont l’assemblage est le plus avancé. Alors, je prends le temps de donner tranquillement toutes les explications.
Lire l’extrait du récit d’Aurélie
La santé
« À vos soins »
Anne-Laurence, médecin anesthésiste à la Cité sanitaire de Saint-Nazaire et bénévole dans l’association « À vos soins »
J’ai le souvenir de cette dame qui, arrivée en urgence, n’avait pas pu me rencontrer en consultation de pré-anesthésie, je l’ai donc vue dans sa chambre de la maternité. Elle était originaire d’Azerbaïdjan, son compagnon, sans papiers, se trouvait elle ne savait où. Ils étaient partis ensemble, mais ils avaient été séparés. Qu’avait-elle vécu ? Ce n’était pas le moment de questionner, d’ajouter des récits de souffrance à une situation douloureuse.
Lire l’extrait du récit d’Anne-Laurence
Gens simples, patients actifs
Jean-Michel, Dermatologue
Ce que j’apprécie ici, c’est que j’ai affaire à des ouvriers qui ont un métier dont ils sont fiers, à des techniciens conscients de leur savoir-faire. Ce sont des gens très pragmatiques qui ne se comportent pas comme de simples exécutants ; et des patients qui ont un rapport direct avec les choses de la vie. Comme me l’a dit mon prédécesseur : « Ce sont des gens qui sont francs du collier…»
Lire l’extrait du récit de Jean-Michel
« Je revendique le fait d’avoir eu un cancer »
Christine, patiente ressource
Bonjour, je m’appelle Christine. Je suis patiente-ressource, c’est-à-dire que j’ai eu un cancer et que j’ai accepté de partager mon expérience. Mais vous pouvez me mettre à la porte…
– Vous avez eu un cancer et vous êtes vivante ?
– Eh bien oui, je suis vivante ! Il faut croire les médecins quand ils vous disent que vous irez mieux dans six mois. Il faut leur faire confiance parce que ça donne de la force.
Lire l’extrait du récit de Christine
L’urgence, c’est de vivre
Pierre, accompagnant de son épouse malade du cancer
C’est là que, dans une tache de lumière, nous attend la secrétaire, à l’issue de la consultation d’annonce. Nous nous installons sur nos chaises. Elle a tout préparé et nous accueille avec un vrai sourire sous ses cheveux bouclés. Nous nous rapprochons. On oublie les gens qui passent, l’environnement. Elle reprend tout méthodiquement, sans se presser, et on se laisse porter par son intonation rassurante, déjà presque familière.
Lire l’extrait du récit de Pierre
Solidarités
Le maître-mot est bien “solidarité”
Marie, travailleuse sociale dans une communauté Emmaüs
Au moment où ils entrent, Ils sont découragés, ils se sont heurtés à des refus ou à des incompréhensions. Notre priorité est alors qu’ils prennent soin d’eux. C’est quelque chose dont ils n’ont plus l’habitude. Mon rôle, c’est d’en amener certains à se dire : « Là, maintenant, ça y est, j’ai le temps, je vais pouvoir me laver régulièrement, laver mes affaires ». Et je leur pose la question : « Tu as pris une douche, hier ?».
Lire l’extrait du récit de Marie
Rechercher un emploi : une contrainte douloureuse et blessante
Pierre, chômeur et militant
Ils cherchent la faille. Comme si leur seul but était de me déstabiliser. Vers la fin de l’entretien, sentant que tout cela ne débouchera sur rien, je pose la question de la rémunération. Tout juste le SMIC. Tout ça pour ça… Quand je suis entré chez moi j’en ai chialé tellement c’était dur. Je n’ai pas été retenu. Pourtant je voulais travailler, je trouvais que ça avait du sens de faire des choses pour l’endroit où je vivais, de peser sur mon environnement, de travailler chez moi.
Lire l’extrait du récit de Pierre
Quand on est entendu, on peut accepter qu’une réponse soit différée
Virginie, agent d’accueil à la CPAM
J’ai été surprise, en arrivant dans ce travail, que les gens se livrent beaucoup à nous sur leur maladie. Ils sortent de chez le médecin, avec un protocole de soins concernant ce que nous appelons une ALD, affection de longue durée. Ils viennent de se prendre leur diagnostic en pleine figure et ils arrivent chez nous pour leur prise en charge à 100%. Je n’ai pas connaissance de la raison pour laquelle ils ont déclaré une ALD, c’est un secret médical. Mais les gens me le disent : « Je viens d’apprendre aujourd’hui que j’ai un cancer. ». Nous sommes souvent les premières personnes à le savoir.
Lire l’extrait du récit de Virginie
Ce travail réclame avant tout des qualités humaines d’écoute
Marie-Jo, aide-ménagère
Je suis à St-Marc, dans le grand jardin de ce vieux Monsieur qui construit une superbe terrasse, et moi, je sers de conseillère pour l’architecte et les menuisiers. Je leur indique aussi que le monte-charge de cette construction ne pourra pas fonctionner. Ils doivent reprendre leurs plans. Qui suis-je pour conseiller, pour donner mon avis sur tel ou tel travail ? Je m’appelle Marie-Jo et voilà 29 ans que je travaille comme employée familiale.
Lire l’extrait du récit de Marie-Jo
Hébergement solidaire : un bénévolat à plein temps
Enoch, militant associatif
Tel ou tel gamin était un petit gentil. On lui avait dit de ne pas faire de conneries ». Mais ils y vont quand même, ils tombent dans les addictions, dans des petits trafics, dans les vols minables. Et au bout d’un moment, ils entrent dans des schémas de violence. L’exclusion est un facteur aggravant. C’est le début d’une terrible spirale négative. C’est pour cette raison que l’hébergement et l’accompagnement sont si importants et qu’être inscrit dans un réseau associatif est primordial.