« À vos soins »
Anne-Laurence, médecin anesthésiste et bénévole dans l’association A vos soins
« L’enjeu de mon travail de médecin anesthésiste est de gérer l’intrusion dans le territoire intime du corps, en un lieu – la “ Cité sanitaire ” – qui, dans le périmètre nazairien, représente une sorte de territoire à part où les gens de toutes conditions et de toutes origines convergent pour se faire soigner. Ils arrivent avec leur vécu, leur culture. Ils viennent de La Baule, de Brière, de Donges, de Saint-Nazaire.
[…]
À côté des vacanciers qui se retrouvent à l’hôpital, il y a les patients qui souffrent de pathologies liées aux industries portuaires ; il y a les travailleurs étrangers détachés, les gens du voyage. J’ai peu à peu appris la ville en m’impliquant dans plusieurs associations comme « la Fraternité » qui accueille les personnes en situation de précarité, la librairie l’Embarcadère, l’association « À vos soins ». Cela m’a permis d’appréhender la ville de l’intérieur, à travers son tissu associatif, et d’articuler ces engagements avec mon métier en allant vers les gens. Car je ne conçois pas d’être médecin dans une Cité sanitaire et de ne pas être une personne impliquée dans la ville.
[…]
J’ai été surprise du nombre de travailleurs étrangers, employés par les Chantiers navals, que je peux recevoir à la Cité sanitaire.
[…]
De la même manière, à la maternité, je vois beaucoup de dames qui viennent d’autres pays, qui ont parfois vécu ailleurs des accouchements traumatiques. Si ce n’est pas pour poser une péridurale, le fait que je les voie signifie que l’accouchement risque d’être compliqué. J’ai le souvenir de cette dame qui, arrivée en urgence, n’avait pas pu me rencontrer en consultation de pré-anesthésie. Je l’ai donc vue dans sa chambre de la maternité. Elle était originaire d’Azerbaïdjan, son compagnon, sans papiers, se trouvait on ne savait où. Ils étaient partis ensemble, mais ils avaient été séparés. Qu’avait-elle vécu ? Ce n’était pas le moment de questionner, d’ajouter des récits de souffrance à une situation douloureuse. Par l’entremise d’un interprète, je lui ai expliqué comment l’accouchement allait se passer, qu’on allait prendre soin d’elle. Je ne sais pas si elle a prêté attention à ce que je lui disais. La seule chose qui lui importait était un mot qu’elle répétait sans relâche. J’ai compris que c’était le prénom qu’elle voulait donner à son enfant et qui la reliait à son compagnon. Quand elle a accouché et qu’elle a prononcé le nom de son bébé, c’était accompli. Elle s’est apaisée. Dans la salle voisine, une Parisienne était venue accoucher près de sa famille qui habitait La Baule. Son dossier était parfait, son suivi médical très élaboré, et elle ne manquait pas de nous rappeler le nom du célèbre professeur qui l’avait suivie dans telle maternité de Paris … Les attentes de l’une n’avaient rien à voir avec les exigences de l’autre. Je vis toujours cette différence de situation de manière très sereine, je mets mes compétences au service des gens de manière égale. »
Lire la totalité du récit d’Anne-Laurence
sur le site de la Compagnie Pourquoi se lever le matin !