Une lutte de tous les instants pour maintenir le meilleur service

Sébastien, agent de circulation à la SNCF

Le TER 58041 à la gare de Donges

À la SNCF, je fais partie de la catégorie des agents de circulation. Autrefois, on nous appelait les « aiguilleurs ». Donc je change les trains de voies, je gère les incidents, depuis 2003 où je suis arrivé sur le bassin. J’étais aussi anciennement secrétaire du syndicat des cheminots de Saint-Nazaire, maintenant j’en suis le trésorier. En tant qu’agent de réserve, je peux intervenir sur le territoire des gares de Montoir-de-Bretagne, de Pont-Château et celle de Donges qui va fermer à partir de demain soir à cause des travaux de contournement de la raffinerie Total.

En 2012, une fuite de gaz m’avait amené à déclencher l’interruption du trafic à partir de mon poste d’aiguillage de la gare de Donges. Si les trains étaient alors passés là où ils circuleront désormais, cet incident n’aurait évidemment pas présenté les mêmes risques. D’autant plus que, dans ce cas de figure, l’agent aurait hésité à actionner le bouton d’arrêt pour une simple mesure de précaution… La SNCF et Total détestent l’émotion que provoque une telle décision. Mais, que le train passe au milieu des zones sensibles ou à 800 mètres, on ne voit guère de différence en cas d’explosion catastrophique quand on connaît les risques des sites SEVESO, dont la raffinerie fait partie. On se souvient de l’ampleur des dégâts à Toulouse, même loin du site d’AZF. Or, Total n’est pas le seul site à risque du secteur. En face, de l’autre côté de la Loire, Framatome est classé SEVESO de même que, de ce côté-ci, Yara, Air Liquide, Elengy et, à une vingtaine de kilomètres, la centrale électrique de Cordemais. Une explosion en chaîne pourrait agrandir le parc de la Brière et l’estuaire de la Loire. On aurait un deuxième golfe du Morbihan !

En raison des travaux, la gare de Donges va donc être officiellement fermée à partir de demain soir. Elle le sera définitivement. Cependant, en dépit du contournement de la raffinerie, le train continuera à passer à proximité des zones de danger même s’il s’y arrête de moins en moins…. Beaucoup d’articles de presse ont écrit que la ligne SNCF avait coupé la raffinerie en deux. La réalité est que la ligne SNCF existait bien avant. C’est la raffinerie qui, à force de s’agrandir, est passée de l’autre côté des voies. Dans ces conditions, j’estime que ce n’était ni à l’État ni à la Région de payer le contournement. Mais la direction de Total a prétendu que, sans contournement, elle fermait le site. Donc l’État et les collectivités locales ont financé les deux tiers des travaux. Cela va permettre à la raffinerie de s’agrandir et de conserver les emplois. Dans le même temps, les cheminots voient leurs effectifs baisser inexorablement. Quand je suis arrivé sur le bassin, en 2003, au Pouliguen, il y avait encore des vendeurs de billets en gare. À celle de Montoir on était plus d’une vingtaine de cheminots ainsi qu’à Donges. À Montoir, il y aura désormais juste une halte comme à Penhoët, avec une machine automatique pour les billets et personne pour donner le départ des trains et pour assurer la sécurité. C’est ce qu’on appelle les points d’arrêt non gérés (PANG). Pourtant, le bassin nazairien est un grand bassin ouvrier où beaucoup de personnes pourraient se rendre à leur travail par le train.

Un « aiguilleur » à la gare de Savenay
photo Patrice Morel

Il y a quelques années on avait le « train des chantiers », fait par des anciennes locomotives diesels 4006. Il partait de Redon aux environs de 6 heures. Il desservait Sévérac, Saint-Gildas, Drefféac, Pontchâteau, Savenay, puis Donges, Montoir, La Croix de Méan et Penhoët où il arrivait quasiment complet. Cette ligne n’existe plus. Aujourd’hui, d’autres trains venant de Redon ou de Nantes s’arrêtent à la halte de Penhoët au pied de la passerelle où les attend le car spécial qui dessert les Chantiers. Mais les horaires ne sont pas forcément adaptés à ceux des travailleurs et, en raison d’incidents récurrents, les retards s’accumulent. Beaucoup de salariés préfèrent utiliser leurs véhicules personnels. Le problème est qu’il nous faudrait davantage de matériel roulant pour pouvoir offrir le service nécessaire. Ainsi, au lieu de pouvoir transporter 500 personnes, on se retrouve avec des trains réduits qui ont beaucoup moins de capacité. Ce matin, je travaillais à Montoir-de-Bretagne, au train de 8h ¼, j’ai vu 50 à 70 personnes sortir du train pour aller à Airbus. Et je sais que c’est à peu près le même nombre de passagers qui descendent à Penhoët pour se rendre aux Chantiers. Un autre contingent poursuit jusqu’à Saint-Nazaire. Ce sont des trains d’ouvriers et d’étudiants. Il y a en effet beaucoup de jeunes qui vont étudier à Saint-Nazaire ou à Nantes à partir de Savenay, voire d’un peu plus loin et même de la côte : le Croisic, La Baule, Guérande. Je pense que les familles qui ne peuvent pas se permettre de payer une chambre à leurs enfants préfèrent acheter un abonnement dont le prix peut être inférieur à celui d’une location. Alors, l’enfant ou l’étudiant va passer chaque jour 2h à 2h30 dans le train…

Les voyageurs qui se rendent à Paris ou à Nantes ne prennent pas ce train matinal. Sur les 60 trains qui circulent chaque jour dans les deux sens sur la ligne Nantes-Saint-Nazaire, un peu moins d’une vingtaine s’arrêtent à Penhoët. Avant, on pouvait prendre un billet complet pour effectuer un trajet qui partait d’une petite gare comme celle de Montoir pour aller jusqu’à Paris-Montparnasse. Maintenant on ne peut plus, on est obligé de prendre un billet de TER jusqu’à Nantes puis un billet TGV de Nantes à Paris. Ça coûte plus cher et, s’il y a le moindre problème sur le TER, vous êtes replacé dans le TGV suivant sans aucune certitude de place. La SNCF qui gère les TGV, et la région qui s’occupe des TER ont estimé que maintenir des correspondances coûtait très cher. Si un TGV a du retard, faire attendre le TER compromet en effet le fonctionnement des cadencements entre les grandes agglomérations ainsi que les cadencements du réseau périurbain autour de Nantes. Arrivés au terminus les trains repartent en effet dans l’autre sens moins de 10 min après. Au moindre retard, le dispositif se grippe, sans parler des problèmes qui surviennent alors sur la voie unique entre Saint-Nazaire et le Croisic. Sur cette voie dite « banalisée », on peut mettre jusqu’à 5 trains qui ne peuvent se croiser qu’en gare de Pornichet ou de La Baule. Ou bien, on peut mettre 5 trains à la suite qui vont dans le même sens mais, au terminus, la gare n’est pas en mesure de recevoir tous ces trains sans faire des manœuvres un peu complexes.

Auparavant, la SNCF essayait de s’adapter en faisant circuler davantage de trains pendant les créneaux horaires où il y avait le plus de voyageurs. Mais, dans les conditions actuelles, c’est devenu mission impossible. Alors, pour que 80% des trains arrivent quand même à l’heure, on nous alloue un budget censé résoudre tous les problèmes. Dans la réalité comme, au niveau local, on a toujours à réaliser 44000 heures d’ouverture de guichets, la gare de Pont-Château va être fermée pour permettre d’affecter un peu plus de personnel en gare de La Baule. Et, pour le même coût, la région voudrait qu’on fasse circuler 10% de trains supplémentaires. La conséquence est que la direction de la SNCF essaye de nous faire faire plusieurs tâches à la fois afin de diminuer le nombre de salariés. En plus de gérer la circulation des trains sur les voies, je suis alors amené à vendre des billets, accueillir les usagers et même faire l’entretien des bâtiments. Ainsi, sur le bassin nazairien, il ne reste 60 à 70 cheminots sur les 150 qui y travaillaient il n’y a pas si longtemps. Or, à force de rogner sur les effectifs, on n’arrive plus à entretenir correctement les voies, les incidents se multiplient, les retards s’accumulent, on ne peut plus renseigner ni vendre correctement si l’usager n’a pas internet. Qui est gagnant ?

Actuellement, sur Saint-Nazaire et Savenay on est en train de se battre pour empêcher la fermeture des guichets de la gare de Pont-Château. On a fait passer des communiqués de presse, on est allé voir la mairie qui a été informée de cette fermeture au mois de juin. On va organiser des permanences pour faire signer les pétitions. En un peu plus d’une semaine, nous sommes rendus à plus de 1000 signatures. Pont-Château est quand même sur la ligne Nantes-Redon-Quimper où circulaient des trains inter-régionaux. L’un d’eux était très connu : il partait de Quimper et allait jusqu’à Vintimille. Il y en avait deux par jour. Il y avait aussi le Quimper Lyon. Ces trains-là ont été supprimés. Dans le domaine des échanges inter-régionaux, on a maintenu le Nantes-Bordeaux, ainsi que le Nantes-Lyon, deux lignes qui doivent être passées en priorité au privé. C’est sans compter sur le fait que, dans le bassin nazairien, nous sommes combatifs. Lors des gros mouvements de grève de 2019, avec les dockers qui bloquaient le port, les cheminots qui bloquaient les trains, presque aucune matière première ne pouvait plus passer. En 2109, lors du conflit des retraites, chez les cheminots, des camarades ont fait plus de 40 ou 50 jours de grève.

Dans ces circonstances, on se retrouve tous au dépôt : un endroit où, jadis, les machines à vapeur étaient contrôlées. Il y a là un club de sport qui était géré par des syndiqués CGT. On y fait du ping-pong, de la danse, de la marche. Malheureusement, ce local est appelé à disparaître. La SNCF, propriétaire des lieux, nous a officiellement coupé les fluides même si on a encore de l’eau et de l’électricité. On était chauffés par une vieille chaudière qui a lâché, et les radiateurs électriques commencent à avoir de l’âge. À chaque rassemblement, on vient là pour discuter et passer un moment convivial. À Nantes, les cheminots disposent de la salle de la Moutonnerie qui appartient au CE. Elle se situe dans la direction de Paris près du petit pont qui passe au bout de la gare. À Angers il y a la salle Marpeau. Ce sont les biens gérés par le CASI (Comité d’action sociale interentreprises). On regrettera le dépôt de Saint-Nazaire cher aussi aux retraités du rail, qui, autour d’un barbecue et de quelques verres, ont plaisir à nous rencontrer et à nous soutenir dans les luttes. Heureusement qu’on a nos retraités. Ils sont toujours là quand il y a besoin d’aider à l’intendance. Et ce sont eux qui mettent le plus d’argent dans la caisse de solidarité. Quand il faut aller à Paris, ils sont partants.
Les cheminots ça reste une grande famille.

Parole recueillie en septembre 2022 par Jacques et Pierre,
mise en récit par Pierre.

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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