« Mon café-théâtre, c’est ma scène »
Véronique, gérante de « La P’tite scène des Halles »
J’ai toujours dit, quand j’arrive ici : « Je mets mon nez rouge et je joue un rôle ». En fait, mon café-théâtre, c’est ma scène. Je le vois comme ça. Le dimanche, parfois, je fais n’importe quoi, je danse derrière le bar pour partager une bonne ambiance.
L’autre jour, une dame me dit : « Ce qu’on adore quand on vient le dimanche, c’est votre Bonjour ». De la même façon, dès que je vois quelqu’un franchir la porte pour s’en aller, c’est : « Au revoir, bon dimanche ». Ce n’est pas grand-chose, ça dure trois secondes. J’aime bien donner ce côté chaleureux, humaniste. Ça me plaît. Et, d’avoir installé une scène, c’est du bonheur.
Depuis très longtemps, j’ai des abonnements au théâtre. J’adore revoir les mêmes spectacles joués par des troupes différentes pour comparer les différentes mises en scène. Une fois, j’ai vu un Ubu Roi. Les comédiens utilisaient des légumes pour représenter les personnages comme des marionnettes. À un moment les poireaux se faisaient couper la tête. Je trouve extraordinaires ces idées de mise en scène. Ce qui me fascine le plus dans le travail de ces artistes, c’est qu’ils trouvent à chaque fois quelque chose de nouveau.
J’aime bien aussi m’occuper de la partie « café », mais je ne ferais pas que ça. Je ne pourrais pas me contenter de tenir un bar.
C’est vraiment le jeu, le spectacle qui m’intéressent. Voir le comédien qui entre dans le café et qui, la seconde d’après, s’est métamorphosé sur la scène m’impressionne. Je ne pourrais pas en faire autant parce que je ne peux pas me produire sur une estrade. Je suis quelqu’un de très timide, j’ai toujours craint d’aller parler aux artistes, de leur poser des questions… C’est peut-être moins le cas avec les musiciens. Mais vis-à-vis du théâtre, j’ai une timidité.
Alors comment arrive-t-on à monter un projet de café-théâtre ? Ce sont les aléas de la vie…
J’ai été responsable administrative et comptable pour une PME de 70 salariés. Puis, j’ai été licenciée économique à 50 ans. Je pensais retrouver du travail dans cette branche jusqu’au jour où une collègue m’a dit : « Eh bien moi, j’en ai ras-le-bol d’être devant un ordi, je vais faire autre chose. Je vais faire de l’aide à la personne. J’ai envie d’aller voir des gens ».
Ça m’a fait réfléchir.
Mon mari et moi étant passionnés de théâtre – mon mari est toujours monté sur les planches – nous avons fréquenté beaucoup d’artistes et été constamment à l’affût pour découvrir un bon groupe de musique, principalement dans les petites salles, les cafés-concerts. Organiser des spectacles ou des fêtes à la maison avec soixante personnes ne me faisait pas peur. Je n’avais pas pensé un jour en faire mon métier. Mais le fait d’être licenciée a été le déclic.
Au début, je voulais ouvrir un bar à vin. Et puis, il y a eu une proposition de la mairie de Saint-Nazaire pour reprendre un bar de plage devant la place du Commando. J’ai monté un dossier, et j’ai été sélectionnée…. Je savais que ce n’était que pour un an.
J’ai ensuite décidé d’ouvrir un café-théâtre, mais je ne voulais pas m’engager seule et Sandrine a tout de suite été intéressée par le projet. On a cherché un établissement à reprendre dans les environs, mais c’est vraiment à St-Nazaire que nous avions envie d’être.
Je trouve que cette ville a beaucoup d’attraits. Les habitants y sont habitués à sortir malgré ce qu’on pense. C’est dans leur ADN.
On a trouvé ce café près des halles il y a six ans. Après trois mois de travaux, on a ouvert en février 2019. Je ne connaissais pas du tout ce quartier. Il y a du passage les matins de marché. Et, le soir, c’est facile de se garer. On est fermé lundi, mercredi, samedi. En fait s’il n’y a pas le marché, il n’y a personne. C’est comme ça, on doit s’adapter à l’emplacement.
On l’a appelé « La P’tite scène des Halles ». Avec les spectacles et les animations, on travaille mieux le soir qui est le moment où on accueille un public différent de celui de la journée. Mais il faut toujours trouver de nouvelles programmations pour ne pas nous limiter à l’activité du bar, même si j’aime aussi ce contact-là qui me permet de parler avec les gens. Il y a tellement d’histoires de vie différentes. Au fond, Je suis un peu « Madame Michu », cette brave femme qui regarde tout ce qui se passe.
J’aime bien le quartier parce que les gens passent. Ils disent : « Salut ! » Et puis, quand je suis dehors, ils viennent me dire : « Bonjour ». C’est super sympa.
Il y a toujours des personnes qui s’assoient sur le banc devant, qui se reposent, qui sont bien là. Les jours de marché, j’adore. C’est animé, on est du bon côté de la place, on n’a pas le soleil, mais ça bouge, ça crie. C’est la vie, quoi !
Notre café-théâtre est associé au marché. Quand il y a eu le projet de rénovation des halles, il y avait des réunions avec les commerçants. C’était très intéressant, je trouvais ça super. Mais c’est tombé à l’eau avec le COVID. Tous les prix des matériaux avaient flambé.
La période du COVID a été très spéciale, bizarre. Nous n’avons pas été trop impactés financièrement parce que nous avions un an d’ancienneté. Mais quand on a ré-ouvert, il y avait beaucoup moins de monde. Il a fallu s’adapter aux règles : gestion des passes, des masques, des distances de sécurité… Mais c’est du passé. On est toujours là !
C’est difficile de tenir un café. On en a vu beaucoup qui ont ouvert, puis fermé. À Saint-Nazaire, il y a des quartiers, comme l’avenue de la République, où le nombre de commerces fermés est impressionnant.
Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de compagnies théâtrales à Saint-Nazaire. On a développé de vraies relations avec les artistes locaux. Ils savent que la scène n’est pas très grande, alors ils adaptent le spectacle en fonction des dimensions et de toutes les contraintes liées au lieu. On peut également installer une coulisse qui permet une entrée sur scène par un seul côté. L’espace scénique peut se moduler. Un morceau de la scène est amovible, on peut en enlever une partie et, lorsqu’on fait par exemple du stand up, on enlève les deux bouts. Ainsi, on met beaucoup plus de spectateurs assis. Cette exiguïté ne nous a pas empêché de recevoir des compagnies qui pouvaient aussi jouer sur de plus grandes scènes comme celle du Quai des Arts à Pornichet.
Beaucoup de troupes déjà programmées reviennent lorsqu’elles ont monté de nouveaux spectacles. Elles aiment la proximité avec le public, la convivialité. Chaque fois, c’est ce qui ressort. Et puis, on a instauré une belle écoute. On ne sert pas pendant les spectacles de théâtre. Pour les spectacles musicaux, c’est différent… Quand on fait le bal Forro 1, on enlève toutes les tables. Du coup, c’est autre chose, tout le monde peut venir. Les gens dansent, c’est une bonne ambiance.
Dans un autre genre, il y a la soirée jeu. J’avais demandé aux bénévoles d’un association de Saint-Nazaire – la ZLUP 2-, qui fonctionne depuis un moment à la maison de quartier de l’Immaculé, de venir une fois tous les deux mois. Maintenant, ils viennent tous les mois.
Le public le plus jeune est celui des soirées Stand Up. C’est là où il y a plus de monde : jusqu’à 70 personnes. Dès qu’on a ouvert, j’ai contacté le « Micro Comedy Club » de Nantes qui a accepté et qui vient jouer tous les 15 jours depuis l’ouverture. En dehors de ces soirées-là, la moyenne d’âge du public tourne autour de 50 ans, et l’ambiance est plus calme.
Beaucoup de femmes me disent : « Votre programmation est très bien, mais je n’ose pas venir toute seule ». Je leurs réponds qu’au contraire, elles peuvent venir, qu’il y a des quantités de personnes dans leurs cas, et qu’elles se rencontrent. Comme les tables sont proches, tout le monde est ensemble, les gens discutent entre eux. J’aime voir les gens sympathiser dans une ambiance familiale.
Je m’occupe particulièrement de la programmation des soirées musicales au rythme de deux par mois. Dernièrement, j’ai rajouté la « scène ouverte musicale » et le « café philo ». Ajoutons à cela une AMAP et une productrice de légumes bio, le jeudi soir. Du coup, il y a beaucoup de passage.
Il faut toujours être à l’affût de choses à mettre en place. Je n’aime pas rester les deux pieds dans le même sabot. J’aime bien organiser des quantités d’évènements différents qui tâtonnent, puis qui grandissent. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas… On aura essayé…
Enfin, il y a toute la gestion administrative à assurer… les approvisionnements… C’est moi qui m’en charge, histoire de ne pas oublier mon ancien métier. Mais le travail que je fais maintenant est tellement enrichissant aussi bien culturellement que socialement… Aujourd’hui, je n’en changerais pas.
1 : Danse brésilienne
2 : Zone ludique d’utilité publique
Parole recueillie et mise en récit par Muriel
du Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire (publiée en février 2025)
espace
Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !