J’étais la seule personne que ce petit monsieur reconnaissait

Fabienne, aide-ménagère

Je suis encore en panne de voiture entre St-Brévin et St-Nazaire. Heureusement je ne suis encore qu’au pied du pont mais je dois trouver une voiture de remplacement pour travailler. Ainsi, le mois dernier, c’est mon ancienne collègue et amie qui m’a prêté sa voiture pour aller travailler chez mes sept employeurs. Malheureusement, la mort fait partie de notre métier et mon amie s’en est allée vers l’au-delà la semaine dernière. Désormais sans voiture, je dois prendre le bus pour travailler avec des temps de trajet énormes.

Je m’appelle Fabienne et le métier que j’exerce est multitâches. Je suis tour à tour auxiliaire de vie, aide-ménagère, femme de ménage ou employée de maison dans le cadre des « titres emploi service entreprise » (TESE) ou des « chèque emploi service universel » (CESU). Parfois, je change de qualification et de rémunération chez la même personne au cours de la même journée. Par exemple, à Saint-Nazaire où je me rends chaque semaine pendant une heure, je lève une personne, je l’habille, je la douche pour un salaire horaire de 16 €. Ensuite, je fais deux heures de ménage pour 11 € 50 de l’heure… Chez les sept personnes auprès desquelles j’interviens, les matins et tous les soirs du lundi au samedi pour un salaire mensuel net de 1 500 € net. Yvette est mon employeur principal. Je vais chez elle tous les jours pour assurer sa toilette, ses repas, ses courses, les rendez-vous chez le médecin, les visites à la famille, beaucoup de tâches ménagères, du repassage. Ce qui représente au minimum 70 h par mois. Je sens de plus en plus la fatigue dans mes épaules, mes genoux…. Or, à 55 ans, après être restée sans travailler pendant douze ans pour m’occuper des enfants, je sais que je ne pourrai pas prendre ma retraite avant 67 ans… avec une petite pension. C’est dur. Je dois porter beaucoup. Je suis fatiguée. Mais ce qu’on ne voit pas et qui demande une autre forme d’investissement, c’est l’écoute des gens. Je m’efforce d’être très attentive, de savoir repérer les petits signes que, peut-être, la famille ne voit pas toujours. Il m’arrive souvent de mal dormir parce que j’emmène le boulot à la maison dans ma tête. Mon métier est d’être en relation avec des humains, donc ce n’est pas facile de lâcher.

Lecture par Fabienne de son texte
à La P’tite scène. Photo CCP

J’ai quand même beaucoup d’heureux souvenirs. Du côté de la Plaine-sur-mer, j’ai eu une belle demande en mariage de la part d’un petit monsieur. Par la suite, ce petit monsieur a été atteint de la maladie d’Alzheimer, il ne se souvenait plus de sa famille, mais de moi, si… J’étais la seule personne qu’il reconnaissait. J’ai aussi de moins bons souvenirs… Comme celui d’une dame qui tenait absolument à me couper les cheveux ; elle ne voulait pas les lâcher… On m’a aussi accusée du vol d’un couteau à pain… Des petites choses… Rien de bien méchant. Mais, en général, les gens sont sympas. Pour contenir les débordements d’humeur ou de trop grande familiarité, j’utilise l’humour. Je sais remettre les gens à leur place et rester à la mienne. Ainsi, je ne tutoie jamais mes employeurs, j’appelle les hommes par leur nom de famille et je les vouvoie. C’est une barrière qui me paraît indispensable.

Je trouve que, depuis le COVID, les familles nous laissent faire beaucoup plus de choses qu’avant ; elles laissent un peu tomber leurs aînés. C’est dommage pour ces derniers et cela met beaucoup de charges sur nos épaules d’aide à domicile. Il faudrait que je puisse suivre des stages de formation, mais c’est difficile parce que, n’appartenant à aucun organisme, je ne peux pas me faire remplacer.

Alors, je continue inlassablement à me rendre chez les sept personnes pour qui je travaille, dans un rayon de quinze kilomètres entre Saint-Nazaire, Saint-Brévin et Pornichet. Et j’ajoute les quinze heures non rémunérées que je passe chaque semaine dans ma voiture à la fatigue de mes multiples tâches.

Parole recueillie et mise en récit par Dominique
du Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire
(publiée en janvier 2025)

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