Quand on est entendu, on peut accepter qu’une réponse soit différée

Virginie, agent d’accueil à la CPAM de Loire-Atlantique

La CPAM de Loire-Atlantique
à Saint-Nazaire

Parfois, les gens nous voient encore à l’ancienne, comme le guichet de la sécu où l’on appelle : « numéro 302 ! ». En fait, ce n’est pas du tout ça. Je reçois les assurés comme j’aimerais être reçue. J’appelle la personne par son nom de famille, pas par un numéro. Plutôt que de l’attendre assise à mon bureau, je me lève pour aller à sa rencontre. Les situations auxquelles j’ai affaire sont très variées. C’est par exemple une dame qui vient parce que son mari est mort de l’amiante ; il s’agit d’un dossier de maladie professionnelle post mortem. Ça peut être une question d’affiliation, un enfant qui vient de naître ou un étranger qui arrive. Je peux m’occuper de la prise en charge des implants capillaires de quelqu’un qui a un cancer, d’un dossier d’invalidité, d’une rente d’accident du travail, d’un appareillage auditif ou d’une prise en charge d’orthodontie. Je me suis récemment occupée d’obtenir une aide extraordinaire pour un recours à une diététicienne, alors que cela n’est normalement pas pris en charge par la CPAM 1. Je prends la demande et j’essaye d’y répondre. Mais, la législation ne cessant d’évoluer, je me pose tous les jours de nouvelles questions, la plupart du temps très techniques. Il faut plus de six mois pour former un agent d’accueil.

Aujourd’hui, je vais recevoir toute la journée des gens qui ont pris rendez-vous pour une demande de mutuelle. Cela représente presque la moitié de mon activité. Sur conditions de ressources et selon la composition de son foyer, chaque assuré peut percevoir une aide pour accéder à une mutuelle. C’est la complémentaire santé solidaire, qui est gérée par la CPAM ou par un organisme agréé. Les droits sont les mêmes. Sur le territoire de Saint-Nazaire, beaucoup de banques très connues remettent à leurs adhérents une carte de mutuelle alors que chez nous tout est dans la carte vitale. Or, les gens dans la difficulté veulent parfois pouvoir présenter une carte de mutuelle privée. Ils tiennent à se sentir socialement comme tout un chacun. Quand la personne arrive, je fais une étude de sa situation, je regarde son avis d’imposition, sur une période précise. Si toutes les pièces nécessaires sont là, je saisis son dossier et je lui donne la réponse à la fin de l’entretien. Apporter des réponses, c’est pour moi le principal dans mon travail.
Quand je commence une journée, je sais à l’avance que le déroulement de mes rendez-vous sera un peu « coloré » par la situation de nos services de production, c’est-à-dire par les services payeurs. Actuellement, nous sommes en retard sur le paiement des arrêts maladie. Il y a eu le Covid. Une grande partie de la population a vécu un arrêt de travail sans avoir connaissance de la législation particulière qui avait été mise en place pour la circonstance. On nous a aussi changé le logiciel avec lequel nous traitions les accidents du travail. Cela a créé du retard – plus de trois mois – que nous sommes en train de résorber.
Les rendez-vous sont échelonnés toutes les 30 minutes. Certains ne durent qu’un quart d’heure. Si je découvre un dossier complexe derrière la première demande, ils peuvent s’étendre au-delà d’une heure. Je peux aussi être de service dans l’espace dit « sans rendez-vous », un îlot avec des bureaux « assis-debout » et l’ordinateur en espace libre au milieu. Là, je réponds à des questions de manière assez rapide et, si besoin, je dirige la personne vers un rendez-vous. Aujourd’hui, la direction voudrait que les gens ne prennent rendez-vous que par internet ou par téléphone. L’accueil sans rendez-vous ne fait plus partie des orientations de la CPAM. Je sais que la CPAM de Nice l’a supprimé, sauf pour les publics étrangers. Chez eux, toutes les demandes de niveau 1 sont gérées sur internet ou dans les points France Services. Ces derniers – des guichets portés par une institution locale, comme la mairie ou la poste – reçoivent les demandes pour les cartes grises, les démarches à la sous-préfecture, la CAF… ou la CPAM. À Saint-Nazaire, un de ces points « France Services » s’est installé dans le quartier de la Chesnaie. Les gens peuvent poser leur question à un agent d’accueil présent physiquement, et ils peuvent appeler la CPAM en visio si besoin. Dans mon équipe, nous nous battons pour conserver l’accueil sans rendez-vous, bien qu’il y ait de moins en moins de personnel et des missions supplémentaires. Certains assurés sont très contents de pouvoir faire toutes leurs démarches à distance, sur leur compte AMELI. Mais il y a aussi, à Saint-Nazaire, beaucoup de gens qui ont encore besoin de ces contacts humains, ou qui ne sont pas à l’aise avec les outils numériques.

Une population hétérogène

La population de Saint-Nazaire est beaucoup plus hétérogène que dans d’autres agences de Loire-Atlantique où j’ai fait des remplacements. Ici, je peux passer d’un travailleur du bassin industriel à quelqu’un qui se trouve dans une situation d’isolement et de grande précarité ; puis revenir à quelqu’un qui travaille et qui vient juste pour son affiliation. Nous sommes habituées à accompagner des Polonais, des Russes, des Ukrainiens… Avant le Covid, nous avions des gens qui venaient nous voir toutes les semaines sans prendre rendez-vous. Il y en a même qui savaient que leur dossier était réglé, mais qui passaient régulièrement demander des nouvelles. Pour nos responsables, ce n’est pas entendable. Mais, pour moi, le lien social fait partie des missions du service public, donc de mon travail.
Lorsque je suis entrée dans l’entreprise, il y a six ans, nous ne faisions que de l’espace sans rendez-vous, ou du rendez-vous, toujours en face-à-face. De nouvelles activités s’y sont ajoutées. Par exemple, depuis un an, nous devons assumer des rendez-vous par téléphone, dans un coin de l’accueil, avec un casque sur la tête. On nous demande aussi de faire de la préparation de rendez-vous. Il s’agit d’appeler l’assuré avant qu’il ne vienne, pour vérifier que ce rendez-vous est utile, lister les pièces nécessaires, voir si on pourrait régler le dossier tout de suite.
Au téléphone, nous sommes supposées faire la même chose qu’en face-à-face. En réalité, c’est très différent. Le non-verbal, élément important d’un entretien en direct, est absent de la communication téléphonique, à travers laquelle les histoires de vie ne passent pas, ou pas très bien. Or, on accompagne beaucoup d’accidents de la vie. J’ai été surprise, en arrivant dans ce travail, que les gens se livrent beaucoup à nous sur leur maladie. Ils sortent de chez le médecin, avec un protocole de soins concernant ce que nous appelons une ALD, affection de longue durée. Ils viennent de se prendre leur diagnostic en pleine figure et ils arrivent chez nous pour leur prise en charge à 100 %. Je n’ai pas connaissance de la raison pour laquelle ils ont déclaré une ALD, c’est un secret médical. Mais les gens me le disent : « Je viens d’apprendre aujourd’hui que j’ai un cancer. ». Nous sommes souvent les premières personnes à le savoir. « Comment ça va se passer pour moi… ? ». C’est comme s’ils avaient besoin d’évacuer auprès de quelqu’un avec qui il n’y a pas d’affect. De mon côté, je dois réussir à ne pas trop m’impliquer dans ces situations. J’y arrive plutôt bien parce que j’ai une formation de base en psychologie. De plus, j’ai appris à prendre du recul dans mon métier précédent : dix ans d’accompagnement avec des jeunes à la mission locale. Mais il y a toujours des périodes de la vie où l’on se sent en train de transférer, de ressentir la douleur des gens. Je l’ai ressenti l’année dernière lorsque j’ai perdu mon papa. Pourtant, nous ne faisons pas d’analyse de pratiques, nous n’avons pas de supervision sur la manière dont nous nous comportons avec les assurés. Nos réunions ne portent que sur notre activité et son organisation. Il n’existe pas de soupape pour nous soulager de la charge émotionnelle que nous devons parfois supporter. J’en ai fait la demande. J’aimerais aussi que nous ayons une formation de premier secours en santé mentale, quand nous sommes confrontées à la détresse psychique d’une personne, dans nos locaux ou par téléphone.

Heureusement, à côté des fonctions d’accueil qui me placent dans une situation de tête à tête parfois difficile à assumer, je travaille un jour par semaine dans une équipe dédiée à la stratégie territoriale. La CPAM de Loire-Atlantique a en effet créé cette nouvelle mission en 2021, à raison d’une équipe pour chacun de ses cinq territoires. Il s’agit notamment de créer des dynamiques qui facilitent l’accès à un médecin traitant, le plus gros problème sur notre bassin. Les professionnels de santé se réunissent et s’organisent pour réaliser un maillage du territoire. Nos voisins de la CPAM de Vendée ont obtenu de bons résultats en procédant ainsi. Le plan d’actions est piloté par l’ARS, l’Agence Régionale de Santé, et la CPAM. Une CPTS, Communauté Professionnelle territoriale, de santé, est en train de se créer à Guérande, une autre est en discussion à Saint-Nazaire. En ce qui me concerne, je m’occupe, sur le territoire ouest, de 4 communautés de communes dont Saint-Nazaire, Guérande, Pontchâteau et Savenay. Ainsi, avec le CCAS de Trignac, nous avons mis en place une réunion sur l’accès aux droits. J’anime également des ateliers destinés avec les conseillers numériques qui sont sur place : cela s’appelle les rdvs santé « Comment accompagner les gens qui doivent prendre un rendez-vous sur Doctolib ? » J’ai aussi organisé également des séances d’information auprès des travailleurs sociaux : « Qu’est-ce que la caisse primaire d’assurance maladie ? » Cette mission vient de démarrer et l’on s’aperçoit qu’il y a des choses que l’on peut dupliquer d’un territoire à l’autre… et d’autres non. Les besoins ne sont pas partout les mêmes. Mais, dans tous les cas, l’important est de faire du lien avec les partenaires du territoire. Reste qu’à la CPAM, nous traitons essentiellement le versant administratif. L’accompagnement d’une personne en butte à de grosses difficultés relève plutôt du CCAS et des assistantes sociales. Par exemple, nous travaillons très bien avec les assistantes sociales de la CARSAT 2, la branche retraite, qui reçoivent les personnes dans nos locaux. Comme elles ont aussi la casquette reconversion professionnelle pour les personnes en invalidité ou en arrêt maladie, elles aident notamment ces dernières à faire le deuil de leur travail.

Coopérer avec les autres structures de Saint-Nazaire

Le hall d’accueil
« très haut sous plafond »

D’une manière générale, nous coopérons avec Ies nombreuses structures associatives et institutionnelles qui, à Saint-Nazaire, répondent à une forte tradition. Aujourd’hui, nos partenaires associatifs, les CCAS, les mairies, les professionnels de santé et les travailleurs sociaux peuvent nous contacter directement malgré notre statut de grosse administration. C’est important pour les personnes en grande difficulté, qui bénéficient souvent d’un suivi individualisé dans plusieurs lieux. Chez nous, elles ont affaire à la MAS, la Mission d’Accompagnement en Santé, à laquelle des collègues agents d’accueil consacrent maintenant deux jours par semaine. Si, à l’accueil, quelqu’un me dit : « Je ne suis pas allé voir le dentiste depuis 10 ans, ça me coûte trop cher », je vais lui proposer d’être accompagné par une collègue qui, par exemple, appellera un dentiste pour lui demander s’il est à l’aise avec quelqu’un qui a peur. Elle l’aidera à lire ses devis, à prendre une mutuelle, et entretiendra avec lui des contacts téléphoniques réguliers pendant un mois, trois moi, 6 mois un an, ou plus. La personne qui est suivie de cette façon a le nom du conseiller qui va l’accompagner, elle aura des rendez-vous téléphoniques individualisés et toujours avec la même personne. J’estime que ce dispositif est une avancée dans la mesure où il permet d’éviter la rupture de soins. À Saint-Nazaire, seuls les agents d’accueil peuvent s’y consacrer, contrairement à d’autres CPAM. Je trouve que c’est mieux parce que l’accompagnement est notre métier. Cela nous donne aussi l’occasion de l’exercer au-delà des limites d’un rendez-vous de trente minutes.
Cette nouvelle mission nous permet d’aller vers les personnes en détresse et de leur apporter un suivi personnalisé. Ces dernières hésitent parfois avant d’entrer dans notre bâtiment, jusqu’au jour où elles se lancent. À Saint-Nazaire, nous recevons les assurés dans le plus grand de tous les locaux d’accueil de la CPAM de Loire-Atlantique, en face du Parc paysager, dans un très beau lieu classé. Mais les dimensions de cet espace très haut sous plafond ne rendent pas toujours les choses simples. Lorsque quelqu’un pleure, ou crie, cela résonne beaucoup. Heureusement, ce genre de débordement reste rare, comme les incivilités, même si on doit en déplorer davantage actuellement. Les gens qui ne vont pas bien ne se montrent pas forcément agressifs, mais ils sont dans une détresse qui peut être violente. Certains se retrouvent sans ressources, et ils ne se sentent pas entendus. Quand une personne s’en va en annonçant qu’elle va sauter du haut du pont de Saint-Nazaire 3, que « C’est votre faute ! », vous pensez qu’elle ne le fera pas… mais si un jour elle passait à l’acte ? Il faut vivre avec ça, quel que soit le service public où l’on travaille, la CPAM, la CAF , le pôle emploi, les transports urbains… Je trouve qu’on a fermé les portes aux gens au moment où, avec la crise sanitaire, ils avaient besoin de nous. Et on n’a pas toujours su leur répondre ou, au moins, leur donner une première réponse. Je sais qu’il ne faut pas faire ce métier en pensant qu’on va répondre à tout le monde tout de suite. Nous sommes face à des cas particuliers tous les jours. Il est fondamental que chaque personne se sente entendue. Quand on est entendu, on peut accepter qu’une réponse soit différée. Chaque rendez-vous est une nouvelle rencontre, une nouvelle histoire, une personne à qui je vais sourire, que je vais accueillir et écouter. La semaine dernière j’ai vu arriver une dame très en colère. Nous étions en effectif réduit à cause d’un arrêt de travail, je l’ai donc reçue avec beaucoup de retard. Vingt minutes plus tard, elle est sortie en disant : « Merci beaucoup, je m’excuse, j’ai mes réponses ». Il faut savoir accueillir des personnes énervées ou agacées, réussir à les apaiser. Et se dire : « J’ai réussi, il repart content, satisfait du service ».


1 : CPAM : Caisse Primaire d’Assurance Maladie (départementale)
2 : CARSAT : Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail
3 : Le grand pont de Saint-Nazaire, qui relie les deux rives de la Loire, est aussi, malheureusement, réputé pour cela.

Recueillie en septembre 2022 par Jacques et Pierre, mise en texte par Christine

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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