Itinéraires d’un attineur
Yvan, magasinier aux Chantiers de l’Atlantique
« Voilà plus de vingt ans que je travaille aux Chantiers. À force de tirer sur des câbles, de manipuler des outils lourds en fond de cale, dans le froid et l’humidité, je me suis abîmé le dos. J’ai donc changé de poste. Après avoir travaillé dans la préfabrication de réseau en tuyauterie PVC, je suis aujourd’hui affecté au service de “ maintenance petit outillage ”. […] Cela se passe dans le petit bungalow logé à l’intérieur de l’ancien hangar du magasin général. Là, je suis au milieu des instruments entreposés. Quand j’entre dans cet endroit qui est « mon magasin » puisque j’y travaille seul, je me sens chez moi. Je reconnais d’emblée les odeurs indéfinissables de ferraille et de bakélite, de vieilles graisses et de détergent, parmi les étuis en bois imprégnés de relents accumulés pendant des années.[…]
Dans mon bungalow, je me sens un peu loin des bateaux que je côtoyais quand j’étais attineur. Aussi, je n’hésite pas à prendre un quart d’heure sur mon temps pour aller assister à une manœuvre dès qu’il y en a une dans une forme. […] Parfois, ce sont des barges qui transportent des tronçons de navires sous-traités dans d’autres chantiers navals. […] Rien de comparable, évidemment, avec les cérémonies de lancement qui, de toute façon, se déroulent en présence d’un petit nombre de personnels de la direction, des responsables du navire et des armateurs. Il aurait pu y avoir une exception à l’occasion du lancement du Queen Mary 2, auquel les ouvriers auraient été conviés si l’effondrement tragique de la passerelle n’avait pas contraint à tout annuler. Le Queen Mary était dans le bassin C, pas très loin de la forme Joubert où ont été construits le Normandie et le France. Nous joindre à cette fête était très symbolique. Avoir participé à la réalisation de ce nouveau et magnifique géant des mers nous remplissait de fierté. J’ai appris l’accident à la télé. C’était le samedi 15 novembre 2003. Il y a eu 16 morts. Un de mes collègues a été appelé pour enlever les échafaudages enchevêtrés. Quant à nous, lorsqu’on s’est présentés au travail le lundi, on est tombé sur des portes closes. Le chantier était fermé pour la journée. Il a rouvert le jour suivant. Et le boulot a repris.
[…]
Mais ce qui, à mes yeux, symbolise le plus les Chantiers, ce sont les conflits qui s’y sont déroulés. Un débrayage, c’est quelque chose de fort […]. Le dernier grand débrayage date de 2013, quand un bon nombre d’employés des Chantiers était en désaccord avec le nouveau dispositif de compétitivité qui rognait sur les RTT, les primes, l’ancienneté. […] On se retrouvait alors tous devant la porte 4, la grande entrée des Chantiers. Ça débordait jusque sur le terre-plein de Penhoët, au bord des bassins du port, et jusqu’ au rond-point de l’ancre, près des bâtiments de la direction.
[…]
Maintenant, ce que je vois, c’est les copains qui partent en retraite. J’en ai croisé un qui revenait acheter du poisson à côté de la porte 4. Il y a un poissonnier qui vient se poster là, à la sortie du boulot. Le gars avait gardé ses habitudes. Les Chantiers, c’est toute une vie… »
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