Gens simples, patients actifs
Jean-Michel, dermatologue
« Quand je faisais mes études de médecine à Rennes, on se rendait souvent avec des amis sur le littoral du Sud-Bretagne. Au-delà de Savenay, passé Trignac, on bifurquait vers la Baule en empruntant le périphérique légèrement en surplomb qui ceinture la ville de Saint-Nazaire et l’enferme entre, d’un côté, le port, ses grues, ses portiques ses friches industrielles et de l’autre, les marais de Brière et la campagne qui environne la chic station balnéaire bauloise. Cette quatre-voies forme une limite qui matérialise la juxtaposition de deux mondes que tout semble séparer. Je n’avais vraiment aucune envie d’entrer dans l’univers de Saint-Nazaire dont l’image me paraissait complètement négative. Je n’étais pas très au courant de l’histoire ouvrière de cette ville. Je devais tout juste savoir que le paquebot France y avait été construit.
[…]
Sur le plan des maladies dermatologiques d’origine professionnelle, j’ai soigné des patients exposés aux conséquences de la soudure à l’arc. Ce type de soudure provoque des radiations ionisantes qui s’ajoutent à celles auxquelles les travailleurs sont naturellement exposés avec le soleil. Sur ce sujet, la législation a renforcé la protection des soudeurs et des gens qui travaillent en contact avec eux. Auparavant, ils se décalaient du masque pour pointer. Ils savaient pourtant qu’il ne faut pas regarder l’arc de face. Ils visaient de biais mais se prenaient des coups de feu terribles. Un quart de seconde suffit. J’ai vu l’évolution au cours des années. Ils ont commencé à s’appliquer des crèmes contre le soleil, fournies par leurs entreprises. Maintenant, ils sont équipés de casques munis de fenêtres de visée à cristaux liquides. Au moment où ils envoient le courant, la fenêtre s’obscurcit. Ils peuvent pointer tout en étant protégés contre les ultraviolets artificiels. Depuis, on a rajouté des sortes de paravents pour protéger, à proximité, les gens qui ne soudent pas. Les brûlures dues à la soudure constituent une pathologie professionnelle spécifique à la région, dans le domaine de la dermatologie.
Ce que je regrette un peu, c’est que ma patientèle ait doucement évolué avec le temps. Auparavant, le centre de gravité de celle-ci se trouvait sur l’est de Saint-Nazaire. Insensiblement, avec les départs en retraite successifs de mes collègues de la presqu’île guérandaise qui n’ont pas été remplacés, il y a eu un glissement de ce centre de gravité vers l’ouest. Ceci change la donne puisque le peuplement n’est pas le même. La proportion de ma patientèle “ ouvrière ” a diminué au profit d’une plus grande proportion d’une clientèle plus consumériste. Les conditions dans lesquelles j’exerce maintenant mon métier de dermatologue ne sont plus tout à fait les mêmes.
J’ai eu beaucoup de réticences à venir m’installer à Saint-Nazaire. Mais, rapidement, la ville ne m’a plus fait peur et j’aime les gens d’ici. ”
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