« Ce jour-là, je n’ai pas fait de sel… »

Perrine, paludière

« Quand j’ai débarqué ici, il y a 15 ans, je ne savais pas à quoi ressemblait un marais salant. Je venais de Savoie où je m’étais liée d’amitié avec des copains d’Assérac qui faisaient du ski en hiver : “ Pourquoi tu ne ferais pas les saisons par chez nous, en été ? ” C’est comme ça que je suis arrivée ici. Les copains avaient des connaissances parmi les paludiers. “ Tu peux faire le sel… ”. J’ai contacté plusieurs personnes. Finalement, Aude m’a appelée et m’a proposé de travailler sur sa saline parce que, la saison ayant commencé plus tôt que les autres années, elle avait besoin de quelqu’un pour ramasser la fleur de sel¹. Donc, en 2010, j’ai commencé à travailler pour Aude.
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J’exploite donc deux salines dans le bassin du Mès, au nord de Guérande. L’une près du manoir de Faugaret, à côté de la saline d’Aude, l’autre à Boulay, juste avant les pêcheries. C’est un mélange entre la campagne et la mer qui se faufile entre les champs. La proximité est telle que je suis obligée de m’entendre avec les agriculteurs. C’est ainsi que je collabore avec eux pour entretenir le fossé de ceinture qui se trouve entre notre marche² et le champ. Mais le jour où ils ont moissonné alors que les vents portaient vers ma saline, j’ai jeté ma récolte de la journée. Ça a été un peu dur à digérer puisqu’une saison moyenne équivaut à 30 jours de prises de sel. Nous en avons discuté. Je leur ai demandé s’ils pouvaient au moins prévenir. Désormais, ils font attention. Nous devons également faire face ensemble à la montée du niveau de la mer. À chaque grande marée, nous surveillons les points faibles de la digue de ceinture. Mais quand nous rehaussons à un endroit, l’eau entre plus loin et envahit un bout de champ. Tout cela est discuté au niveau de “ Cap Atlantique ”, la communauté de communes.
[…]

Tout paludier sait qu’il doit faire entrer plus d’eau à tel endroit quand les vents poussent le courant dans l’autre sens. Chaque saline est particulière. Il faut se l’approprier. Combien de fois un paludier va s’asseoir sur son talus, regarder le travail qu’il a fait, observer ses différents bassins, se dire “ Celui-là est plus creux ; celui-là, plus haut ”. Les représentations habituelles montrent le paludier avec son las³ à la main, en train de ramasser son sel… En fait, une grande partie du travail consiste à observer. Quand c’est une grosse saison, tout s’accélère… l’eau augmente en salinité, je suis moins regardante sur la quantité d’eau à faire circuler. En revanche, en début de saison, ou quand la saison n’est pas très productive, il me faut être très précise. Il m’est arrivé d’avoir fait des réglages très fins et de voir tout à coup les vents contraires se lever. Le temps de revenir de l’autre saline, l’évaporation s’était accélérée. Quand je suis arrivée, mon terrain était à sec. Ce jour-là, je n’ai pas fait de sel. Comme on dit dans le marais, j’avais “ perdu la queue de l’eau ”[…] »


¹ La fleur est une fine couche de sel qui se forme à la surface des cristallisoirs.

² Marche : talus d’accès à la saline.

³ Las : outil utilisé pour la récolte du gros sel. Il est composé d’un manche en carbone de 5 mètres de long et d’une maille en bois qui vient frôler l’argile au fond de l’œillet pour décoller les cristaux de sel.

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