Antoine Mouton et Justine Arnal : Libraires pour un soir à Saint-Nazaire

Le jeudi 27 février, Justine Arnal et Antoine Mouton, auteur·ices en résidence à Saint-Nazaire avec le CCP nous ont proposé un parcours à travers les rayons de la librairie la librairie L’Embarcadère et nous ont parlé des livres qui les ont marqué·es. Ceux des maisons qui les éditent et qui leur ont donné envie d’y être publié (Le Chemin de fer, la Contre Allée, Christian Bourgois), et d’autres encore, qui ont jalonné leur parcours d’écrivain·es.

Avant d’évoquer les livres, Antoine Mouton a lu un texte, écrit au cours de la résidence, pour situer leur rapport, à l’une et à l’autre, à ces livres, aux libraires et aux éditeurs, particulièrement à l’édition indépendante.

Justine Arnal commence par deux livres hybrides à la frontières entre le récit intime et le petit essai, qu’elle met en lien car ils sont tous les deux écrits par des psychanalystes et que ce sont deux livres qui permettent aux personnes ne connaissant pas la psychanalyse d’aller vers elle.

Je me petit suicide au chocolat
Claudine HUNAULT
Édition Le nouvel Attila

Un livre que Justine Arnal a adoré !

L’autrice a reçu durant une décennie des patients dans un centre médico-chirurgical dédié à l’obésité. Le livre alterne des portraits poétiques et des pages analytiques.

L’entrée par la question de l’obésité permet de comprendre les questions du symptôme, de l’addiction, du rapport de chacun d’entre nous à la nourriture. Claudine Hunault déplie tous les enjeux psychiques autour de la nourriture.

A la fin du livre, un petit glossaire explique clairement des concepts psychanalytiques tel que la jouissance, la pulsion, le symptôme…

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Le livre de Francesca Pollock est très différent.

C’est l’histoire de la rencontre de l’autrice, elle aussi psychanalyste, avec son beau-fils, Ferdinand, polyhandicapé, diagnostiqué du syndrome de CHARGE (malformations cardiaques, de la vue, de l’ouïe, retard de croissance et du développement psychique).

Francesca Pollock adresse son texte à Ferdinand, elle lui raconte combien cette rencontre l’a interpellée, lui a apportée.

Avec son mari, elle a écrit plusieurs livres autour de Ferdinand, notamment un livre de jeunesse.

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« Pourquoi on mange… »
Lecture par Justine Arnal d’un extrait de
Je me petit suicide au chocolat (3’20)

« Depuis que je t’ai rencontré… »
Lecture par Justine Arnal d’un extrait de Ferdinand des possibles (1′)

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Le premier livre que présente Antoine Mouton est celui de l’autrice d’origine cubaine Nivaria Tejera, Le ravin, publié la première fois en 1958. Il raconte l’arrivée du franquisme dans une des îles des Canaries à travers les yeux d’une enfant. Elle voit son père arrêté à plusieurs reprises.

Le texte ne reflète pas la naïveté de l’enfance mais au contraire le désir de comprendre. L’écriture de Nivaria Tejera donne à concevoir différemment le monde, à voir d’un autre point de vue. Le texte mêle à la fois le récit précis des évènements à une forte tension poétique par l’invention d’une langue. A l’œuvre dans cette écriture, il a à la fois ce que l’enfant ne dira jamais, étouffé par les adultes, qui restera à jamais secret et ce que l’enfant peut exprimer.

Le ravin figure parmi d’autres livres publiés par La Contre-allée évoquant la guerre d’Espagne et les années qui ont suivi comme ceux de Paco Cerdà et Alfons Cervera. Ils ne veulent pas oublier, mais veulent continuer de raconter ce qui s’est passé dont les conséquences sont encore présentes aujourd’hui en Espagne.

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« La guerre, la guerre, la guerre »
Lecture par Antoine Mouton
d’un extrait de Le ravin (3’15)

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Parce que la rencontre a été importante pour elle, Justine Arnal souhaitait présenter l’autrice française Béatrix Beck.

© DR

Béatrix Beck est née en 1914. Son père meurt quand elle a deux ans et demi. Sa mère a dû s’en occuper seule pendant la première guerre mondiale.
Pendant la seconde guerre mondiale, Béatrix Beck se retrouve dans la même situation, elle doit assumer seule sa fille. Son mari, juif, disparaît dans des circonstances assez troubles.

Elle a une œuvre prolifique, 26 livres, dont une majorité de romans, mais aussi des nouvelles, des contes et également un peu de poésie. Une œuvre qui est généralement considérée en deux périodes, par les critiques comme par elle-même. Durant la première, de 1948 à 1954, elle publie des textes d’origine autobiographique. Pour Léon Morin, prêtre, elle reçoit le prix Goncourt en 1952, la deuxième femme après Elsa Triolet.
À partir de 1967, Beck amorce un tournant stylistique, avec la publication de Cou coupé court toujours. Gallimard refusera ses manuscrits suivants. Sans éditeur pendant dix ans, elle continue d’écrire : de la poésie notamment. Béatrix a très mal vécu les refus éditoriaux. Elle se sentait, pour reprendre son expression, « emmurée vivante »

Sa deuxième, la plus intéressante pour Justine Arnal, débute en 1979. Elle publie La décharge que Béatrix Beck considère comme son premier roman car pour la première fois elle reste complètement extérieure à l’histoire qu’elle écrit.

Béatrix Beck s’intéresse aux personnages de marginaux. Le personnage de La décharge est une ado issue du sous-prolétariat qui a passé son enfance dans une décharge dans une famille pour le moins incestueuse.

La Décharge et Stella Corfou sont les romans que préfère Justine Arnal.

Stella Corfou, c’est l’histoire d’amour, l’amour à mort, entre une brocanteuse hypersexuée qui n’a pas la langue dans sa poche et Antoine, un homme plus normal, quelque peu quelconque, petit bourgeois réservé. Le roman est exubérant dans son style comme l’est cette héroïne.

L’écriture de Béatrix Beck se laisse guider par la langue, la sonorité des mots. Ses textes sont truffés de citations, de proverbes qui peuvent faire bifurquer la narration, elle passe du coq à l’âne parfois sans se soucier de l’intrigue.

A ses débuts, l’écriture de Béatrix Beck est blanche, elle l’appelle « incolore ». Puis progressivement elle devient baroque, elle mêle les registres de langue.

La double réfraction du spath d’Islande, Béatrix Beck aurait voulu de son vivant publier un texte avec ce titre. Grâce aux éditions du Chemin de fer, ce livre existe. Il s’agit d’une compilation de nouvelles et de textes inédits.

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🔗 Pour une présentation plus complète de Béatrix Beck par Justine Arnal : écouter le postcast Les Parleuses.

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« Faisons un enfant »
Lecture par Justine Arnal d’un extrait de
Stella Corfou (0’40)

« L’interview fictive » Lecture par J. Arnal et A. Mouton d’un extrait de La double réfraction du spath d’Islande (2’30)

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Renata n’importe quoi est Le livre qui fait rire Antoine Mouton. Il ne cesse de le relire, de le prêter, d’en lire des extraits.

Renata décide un jour d’être « une libre ». Elle ne veut plus que qui que ce soit ou quoi que ce soit décide pour elle. Elle se réinvente dans le monde à partir de cette idée.

Le roman suit Renata pendant trois journée retracées par trois phrases que rien n’arrêtent, comme plus rien n’arrête le personnage.

Catherine Guérard ne construit pas des phrases « normales », elle invite le lecteur à travers des moments bancals, des scories, des constructions boiteuses à suivre le périple de Renata. C’est le genre d’écriture qu’apprécie Antoine Mouton, celle qui accroche et interpelle, il n’est pas intéressé par la simplicité mais par ces lectures difficiles qui offre aux lecteurs la tâche de construire la fluidité du récit.

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La poétesse Milène Tournier marche en ville, en campagne pour son dernier recueil, elle marche les oreilles grandes ouvertes, elle marche et elle lit… ce qu’il y a sur les murs, dans les livres de prières… Elle voit tout ce qui disparaît, les magasins qui ferment…. Elle va visiter les EHPAD…

Une poésie limpide !

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« Je veux être « une libre » »
Lecture par Antoine Mouton d’un extrait de
Renata n’importe quoi (2′)

« Tu as entendu l’orage ? »
Lecture par Antoine Mouton d’un extrait de
Et m’ont murmuré les campagnes (1’05)

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Pour finir, l’autrice et l’auteur nous ont emmené dans les paysages blanc et glacés de la littérature du Nord, Justine Arnal avec Tarjei Veesas et Antoine Mouton avec Jon Fosse, prix Nobel de littérature en 2023.

Le palais de glace, un livre magnifique pour Justine Arnal. Écrit en 1963, traduit en français en 2014, il raconte l’histoire de deux jeunes filles de onze ans, Siss et Unn.
Unn, orpheline vient d’arriver au village chez sa tante. Siss est étrangement attirée par Unn, elle essaye de l’approcher…
Unn a tout à la fois envie de se confier mais elle en est incapable. Le lendemain d’une soirée avec Siss, elle part, fait l’école buissonnière, va seule se perdre dans le palais de glace, une cascade qui a formé une montagne de glace.

La nature est omniprésente dans le roman, magnifique mais aussi féroce.

Dans la littérature de Veesas, il y a quelque chose d’extrêmement doux et en même temps d’une violence inouïe.

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Jon Fosse, on le connaît souvent par son théâtre. L’une de ses pièces, Je suis le vent a beaucoup a voir avec le roman que présente Antoine Mouton, L’autre nom.

Le personnage principal s’appelle Asle, veuf, ancien alcoolique, peintre reconnu, il est préoccupé par un homme qui vit en ville et se prénomme également Asle, alcoolique et peintre raté. Le premier retrouve dans le second sa douleur passée.
Le roman évoque les parts d’ombre de chacun, les zones obscures de soi-même.

Contrairement à son théâtre aux phrase très courtes et épurées, es romans de Jon Fosse sont exactement le contraire, ce sont des phrases amples qui se chargent au fur et à mesure, une écriture nébuleuse, très étrange.

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Antoine Mouton avait envie de terminer avec Dorothée Volut, un livre qu’il a trouvé dans la librairie, il ne savait pas qu’elle avait publié un nouveau recueil, Contour des lacunes chez Eric Pesty, éditeur marseillais.

Dorothée Volut n’avait pas écrit depuis longtemps. Elle écrit sur ce qui lui est arrivé, ce trou dans son écriture.

Dans Contour des lacunes, il y a des poèmes, d’autres de l’ordre du journal, de la prose. Il y a des photos au milieu. Un livre qui ne s’occupe pas de définir une forme fixe, qui ouvre plein de possibles, à tous les possibles de l’écriture.

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