Tatoueuse : un métier-passion

Iza, tatoueuse

Le client qui entre dans mon atelier de tatoueuse a déjà une idée de ce qu’il veut que je grave sur sa peau… Mon rôle est de recevoir cette personne – plus souvent une femme qu’un homme – comme quelqu’un qu’il faut d’abord écouter. Est-ce que l’étoile, le phénix, le lotus qu’il ou elle me demande de tatouer correspondent bien à sa morphologie, à sa personnalité, à son besoin ? Souvent, je me rends compte alors qu’il s’agira d’un tatouage réparateur : recouvrir une cicatrice, une trace de brûlure, mais aussi soigner une blessure morale, un mal-être psychologique. Moi qui ai fait des études de psycho et qui rêvais de devenir éducatrice ou travailleuse sociale, je me retrouve dans mon élément.

À la suite de ce premier échange qui m’a permis de cerner un peu la personne, d’affiner son projet, il y a un deuxième rendez-vous pour remettre le dessin qui a été choisi. Pour simuler le tatouage, j’utilise alors un calque que je positionne sur la partie du corps désignée. Je réalise ce dessin à l’ancienne, sans me servir de la tablette qu’utilisent la plupart des tatoueurs actuels. Je vois bien pourtant que, pour tracer par exemple un mandala, il serait beaucoup plus facile de passer par l’informatique. Il suffit de poser un point ; le logiciel le démultiplie automatiquement. Le dessiner à la main est très long et ne donne jamais un résultat parfait… Mais je préfère le geste à la machine.

En réalité, je travaille comme j’ai appris à le faire quand je me suis attardée à l’île Maurice après avoir été maçonne, manœuvre, serveuse aux USA, être revenue en France pour suivre une formation de tailleuse de pierre, avoir fondé une entreprise et être repartie à travers le monde. À l’île Maurice, j’ai suivi pendant six mois une formation de tatouage au henné avec une prof créole qui avait elle-même été formée en Inde. Là, j’ai appris la technique traditionnelle qui consiste à improviser des motifs fins comme de la dentelle à l’aide d’un cône rempli de henné. Comme la pâte ne fait que teinter la peau, le tatouage est éphémère. Il disparaît au bout de quinze jours. Les gens que je tatouais dans l’atelier que j’ai ouvert en France étaient ravis du résultat mais étaient déçus qu’au bout de quelques semaines, il ne reste plus qu’une trace orangée tirant sur le marron.

J’ai donc entrepris une formation auprès d’un tatoueur chez qui j’ai appris rapidement parce que la pose du henné m’avait permis d’acquérir une certaine dextérité. Je faisais déjà des dégradés, des ombrages. Voilà quinze ans que je suis à mon compte dans le tatouage. Au début, travaillant seule, je n’avais pas la possibilité d’échanger lorsque je rencontrais des difficultés. Toutes les peaux étant différentes, je m’entrainais parfois sur des peaux d’orange, sur des peaux de cochon ou sur des peaux synthétiques. Ce qui m’a permis de gagner en confiance. Il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour maîtriser mon métier, ne serait-ce que pour proposer des dessins qui me satisfassent et qui répondent aux demandes des clients. Mais savoir dessiner ne suffit pas. Il faut installer une relation de confiance. Je n’oublie pas que je travaille sur le corps de quelqu’un et que ce que je vais y graver ne s’effacera pas ! Si quelque chose ne plaît pas, je peux faire évoluer le projet, mais je veux que ça reste « mon dessin ». Ce à quoi le client est en droit de répondre : « Oui, mais c’est mon tatouage »… Il faut trouver un juste équilibre entre mon style personnel qui commence à être un peu connu puisque des gens se déplacent de loin – de Suisse, de Belgique – pour venir se faire tatouer chez moi, et le désir du client de s’approprier son tatouage comme un élément de sa propre identité… En bref, il faut assurer sur le plan artistique, aussi bien que sur le plan psychologique, l’écoute, pour que le client soit heureux de son futur tatouage.

Après la première prise de contact puis le second rendez-vous au cours duquel le motif a été choisi et présenté, arrive la séance de tatouage. Là, il faut être irréprochable sur les plans de la technique et de l’hygiène. La seule obligation, pour ouvrir un atelier de tatouage, c’est d’avoir fait une formation à l’hygiène. J’ai rencontré des gens qui s’étonnaient : « Ah bon, il faut changer l’aiguille ? » Normalement, tout le monde le sait. Ensuite, cette aiguille est insérée dans une buse : « Ah bon… il faut aussi changer la buse ? ». Eh bien oui, il y a des normes très strictes. Tout est à usage unique.

Pour réaliser le tatouage, je commence, à l’aide d’un thermocopieur, par transférer les traits du dessin sur un papier calque spécial pour la peau. Puis, je découpe le calque, je désinfecte la peau de la personne et je pose le calque dessus. Je n’ai plus qu’à suivre les traits pour injecter l’encre avec mon aiguille. Vient enfin le remplissage, les couleurs et les ombrages que je réalise de manière intuitive. Le temps nécessaire à la réalisation d’un tatouage est très variable. Il dépend de la taille, de l’emplacement, des finitions. Ça peut aller d’un quart d’heure si je fais juste un point d’interrogation, à sept ou huit heures d’affilée si je tatoue un dos complet. Ensuite, il y a toutes les étapes d’après tatouage. Appliquer un cicatrisant à renouveler pendant un mois. Insister sur l’interdiction de prendre une douche le soir-même. Puis éviter les bains. Il ne faut pas laisser tremper. Au bout d’un mois la cicatrisation est complète.

Si je peux, c’est un métier que je ferai le plus longtemps possible. En Indonésie, il y a une vieille dame de cent-dix ans qui tatoue toujours. Pas étonnant : le tatouage n’est pas un métier comme les autres. C’est un métier-passion. Oui, je voudrais tatouer jusqu’au bout de ma vie…

Parole recueillie et transcrite par des élèves du Lycée expérimental
et mise en récit par Pierre M. dans le cadre du projet “Travail et territoire”
conduit par le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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