Prendre du plaisir dans son métier, c’est le plus important

Nicolas, horloger

Lorsque j’étais gamin, j’étais fasciné par l’atelier où mon père exerçait son métier d’horloger. Il manipulait là des quantités de petits outillages, il connaissait l’emplacement des minuscules tours, plaçait les axes et remontait les rouages qui, comme par magie, donnaient naissance aux « mouvements » du mécanisme. Comme Obélix dans le chaudron de potion, je suis tombé dans l’horlogerie quand j’étais petit. J’ai voulu en faire mon métier. Quand, à l’école, on nous demandait de mimer un métier, j’imitais l’horloger. Mon destin était peut-être de faire ce métier-là.

Mais le chemin a été long et compliqué. Il a fallu beaucoup de travail, d’assiduité ; apprendre la patience et la dextérité qui permettent de maîtriser des gestes minutieux ; savoir se calmer quand ça ne va pas. J’étais à bonne école : mon père était un très, très bon horloger. Difficile pour moi, qui arrivais derrière, d’être aussi bon. C’est lui que les clients venaient voir… pas moi… Donc, j’ai dû faire mes preuves, trouver ma place, me démarquer. Puis la main a passé. Et j’ai continué à beaucoup travailler pour arriver au maximum de mon art, continuer à apprendre. Parce qu’on apprend tout le temps. Mais pour apprendre il faut être passionné.

Ainsi, quand je pose le pied par terre, le matin, au sortir de mon lit, je pense déjà à la réparation que je vais avoir à faire. Au bout de 45 ans de métier, j’ai toujours autant de plaisir à travailler. Sans être obligé de viser le très haut de gamme, je peux être dans l’excellence à mon niveau en faisant les choses avec une exigence de qualité maximum. Dans mon métier, il n’y a pas de place pour la médiocrité. Les pendules anciennes, les réveils, les montres sont des objets précieux, parfois très chers. Mais on peut trouver des montres à 80 euros avec des mouvements à quartz qui fonctionnent très bien et qui donnent la même heure qu’une montre à 20 000 euros… Je m’occupe de les réparer, de leur rendre leur lustre ancien en repolissant un verre, en remettant complètement en état un mécanisme ou simplement en changeant un joint. Ce sont des tâches qui se répètent de semaine en semaine mais dont la variété, tout au long de la journée, rendent le travail captivant.

Pour en arriver là, je suis entré en apprentissage dans une école d’horlogerie à quinze ans et demi pour faire un CAP en trois ans : une première année de tournage et d’ajustage, une deuxième année de tournage et de pendulerie ancienne. La troisième année, j’ai appris le travail sur les montres ainsi que le tournage à la main : avec une poignée, je tirais une courroie qui mettait le tour en mouvement. À la sortie de l’école, il m’a fallu à peu près sept années de travail pour pouvoir assimiler mon métier. Ensuite, c’est l’expérience qui m’a permis d’avancer, de connaître de plus en plus de choses pour devenir un horloger confirmé et complet.

Aujourd’hui, les formations sont moins poussées qu’autrefois. Même si les jeunes horlogers parviennent à acquérir un bon niveau, il leur faut trouver des maîtres d’apprentissage pour aller plus loin. Quand on ne possède que les bases du métier, on bute vite sur ce qu’on ne sait pas et qu’on ne peut pas inventer. Ce sont donc les anciens qui peuvent transmettre leurs savoirs et leurs savoir-faire et permettre aux jeunes de progresser.

Moi-même, après 45 ans de métier, je dois m’adapter aux nouveaux circuits commerciaux imposés par Internet et qui vont peut-être bloquer l’activité de vente pour les jeunes qui reprendront la boutique. Par ailleurs, quand il me faut intervenir sur des mouvements anciens, je ne suis pas sûr de trouver les pièces détachées, dans la mesure où elles ne sont plus fabriquées. Même pour obtenir les pièces de modèles récents, je dois valider des agréments, me soumettre à des démarches plus compliquées que lorsque j’ai démarré.

Aujourd’hui, j’arrive en fin de carrière. Je n’aurai jamais cessé d’exercer le même métier comme l’auront fait le boulanger ou le mécanicien qui ont commencé à travailler en même temps que moi. Je vois que, maintenant, on peut faire quatre ou cinq métiers dans sa carrière en fonction des évolutions du marché, de l’économie, de l’emploi. Pourtant, je pense que, quand on est horloger, c’est pour la vie… Pour moi, cela a été une passion et un choix. Aux jeunes qui me disent que choisir n’est pas simple, je dirai que quand on a envie de faire quelque chose, il faut essayer d’aller au bout de son projet, qu’il ne faut pas se réveiller le matin en se disant : « Si j’avais su, j’aurais pu faire autre chose ». Quant à la passion, c’est ce qui vous permet d’aller toujours plus loin, avec de l’envie et du plaisir. Prendre du plaisir dans son métier, c’est le plus important.

Parole recueillie et transcrite par des élèves du Lycée expérimental
et mise en récit
par Pierre M. dans le cadre du projet “Travail et territoire”
conduit par le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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