Les gâteaux de Denis

Denis, pâtissier

Je me suis installé comme artisan pâtissier en 2005 à Guérande. Mon atelier se trouve à Pénestin depuis 2013, entre estuaire de la Vilaine et Océan, entre Morbihan et Loire-Atlantique. Je vends ma production sur place dans mon atelier et en différents lieux à Saint-Nazaire et alentours.

J’ai toujours été attiré par les métiers de l’alimentation. Je ne savais pas si c’était par la cuisine, la boulangerie ou la pâtisserie, mais c’était très clair. Très jeune, j’ai fait de la cuisine. Ça avait beaucoup d’importance pour moi comme pour ma famille. Nous vivions dans une ferme un peu isolée entre Nantes et Angers à quelques kilomètres des bords de Loire avec déjà l’exigence du beau produit et du bien manger. C’est encore présent aujourd’hui lors de nos repas familiaux, chacun prépare quelque chose, c’est un régal !

Le « laboratoire » de Denis

Ma mère aurait souhaité que je fasse des études mais après mon brevet des collèges j’ai passé un CAP de boulanger, puis un autre en pâtisserie. Ensuite j’ai occupé différents emplois avant de m’inscrire pour un Brevet Technique des Métiers. L’idée était d’approfondir mes compétences pour diriger un laboratoire ; c’est le mot utilisé pour désigner le lieu de production en pâtisserie, mais cela me parait un peu pompeux, alors je préfère dire atelier. Les études étaient surtout basées sur des problèmes concrets d’entreprise, des études de cas dans la perspective d’encadrer une équipe. Et puis j’ai commencé à bâtir mon projet.

Je voulais vivre du produit de mon travail, être maître de ma production et la vendre. Ne pas avoir à employer de personnel, d’être obligé d’investir sans cesse dans l’acquisition de nouveau outils. Au contraire, je voulais réduire au maximum le travail administratif ; adapter ma production pour en vivre correctement et non l’inverse. Avoir le plaisir de produire de mes mains, être en relation avec la clientèle.

La notion de rentabilité est omniprésente dans notre monde. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté mon étal au marché de Saint-Nazaire. On me demandait d’augmenter ma présence alors que moi je voulais plutôt ralentir. De même, mon comptable ne comprenait pas pourquoi, une fois mes emprunts pour créer mon atelier remboursés, je n’investissais pas pour augmenter mon activité. Il y a une logique du système qui tend à ça. J’ai également adapté ma production de façon à ne pas être obligé de disposer d’un matériel de froid, à la fois coûteux, difficile à entretenir et à trimballer d’un point de vente à un autre. Ma philosophie est de produire et vendre ce dont j’ai besoin pour vivre. Je veux disposer de temps pour d’autres activités.

Au travail dans son atelier

Je travaille dans un atelier de cinquante mètres carrés où sont disposés différents appareils de froid pour la conservation des produits, d’une chambre de fermentation programmable et bien sûr, de fours. La production se déroule du mercredi au dimanche Je suis très attaché au choix de mes produits et des fruits qui doivent être de saison et à maturité. Un bon choix, c’est pratiquement la moitié du travail. Je mouds, je concasse moi-même les produits secs. Et puis, il y a le contact physique avec la matière. Toucher, palper, ça compte ! Lorsque j’ai construit ma maison à côté de l’atelier, je l’ai faite en terre. J’ai beaucoup aimé travailler la terre de mes mains. Ce sont des sensations importantes pour moi. Je porte une attention particulière aux fruits de saison, à leur mode de préparation. Ne pas éplucher les pommes ou les poires a une signification pour moi. Je travaille également des fruits un peu oubliés, les coings, la rhubarbe… À Saint-Nazaire, je suis un des rares à faire des pâtés aux prunes. C’est une recette angevine héritée de mon enfance.

Je vends moi-même ce que je produis. Ça fait partie de mon équilibre. La fabrication ne m’intéresserait pas si je n’étais pas en relation avec mes clients. Mais je serais bien incapable de vendre n’importe quoi. Une de mes anciennes patronnes tenait beaucoup à ce que nous ayons une relation avec la clientèle et nous faisait venir en boutique chaque dimanche matin. J’ai aimé pouvoir parler de ce que je produisais. Au début, cette relation n’a pas été facile. J’ai grandi au fin fond de la campagne dans un endroit où il n’y avait pas d’autres enfants de mon âge. Je me sentais un peu décalé par rapport aux autres qui se voyaient tous les jours, dans la rue ou ailleurs. Lorsque je suis arrivé sur le marché j’avais encore peu d’expérience, il m’était difficile de me sentir complètement à l’aise. Maintenant, c’est un vrai plaisir. Et puis, il y a mes ventes à l’atelier. Là, je ne travaille que sur commande ; je les prépare et les mets dans un carton avec le nom de l’acheteur et le prix dessus. En partant, je laisse la porte ouvert et les gens viennent chercher leur carton. Je n’ai jamais rencontré de problème. Il y a également des choses plus surprenantes. Je vois régulièrement certains clients avec lesquels je me suis un peu accroché pour des raisons politiques ou autres passer; ils s’arrêtent un instant, hésitent puis finissent par entrer. Peut-être que râler leur ouvre l’appétit !

S’afficher en bio et local attire une clientèle un peu particulière. On relaie des valeurs écologiques, humaines. On peut défendre ses propres convictions. Cela donne lieu à des discussions, des échanges qui s’inscrivent dans la durée. Et puis, il y a tout simplement le plaisir d’être connu, reconnu, et de ne pas avoir à se justifier tout le temps. Quand on achète une tarte, un gâteau, c’est avant tout pour le plaisir. Entendre un client que l’on voit rarement dire : « Ah ! le gâteau que j’ai pris l’autre jour, il était excellent », c’est un bonheur !

Quand je me suis installé je n’étais pas en bio. C’est venu petit à petit au fil de mes rencontres et de l’évolution de ma vie privée. J’ai franchi le pas du bio et du local il y a une quinzaine d’années. Je venais de finir de rembourser mes crédits d’installation et donc j’avais moins de pression financière. Je voulais proposer des produits bios à un prix raisonnable tout en gardant une entreprise viable. J’ai donc fait un pas dans le calcul de mes marges, et mes clients en ont fait un également. J’ai choisi de ne pas faire appel à un organisme certificateur pour labeliser ma production. Tout en restant aussi transparent que possible. Tous mes produits et fournisseurs sont affichés ; on les retrouve sur tous les flyers que je distribue. Il n’y a que la levure et le rhum qui ne sont pas bios. Et je suis en permanence à la recherche de producteurs les plus locaux possibles.

Le choix de ne pas être labellisé est moins une question de coût que de temps. La certification signifie sans cesse remplir des fiches, noter les entrées et les sorties, noter que tu as acheté tant de matières et vendu tant. Le contrôleur vérifie que ça correspond. Et moi je ne veux pas passer des soirées à remplir tout ça, et tout justifier. Qu’on soit une toute petite entreprise comme la mienne ou une entreprise plus importante, la longueur des fiches est la même. Dans mon jardin j’ai des arbres fruitiers ; mes pommes et mes poires ne poussent pas avec des certificats « bio », mais je sais comment elles ont poussé et qu’elles sont bonnes.

Noël et Pâques sont des périodes où je m’occupe de chocolat en plus de mes productions habituelles. C’est un travail assez esthétique et c’est ça qui me plaît. C’est aussi technique que précis. Mais je n’aimerais pas faire ça toute l’année. J’utilise principalement des moules sphériques ou en forme d’œuf. Tout le reste est un travail à la main. Mes rouges-gorges par exemple sont composés uniquement de boules. Je les assemble et ensuite je dois fabriquer une branche, un bec, faire le dessin du plastron, des ailes etc… Pendant un temps, j’ai travaillé comme « finisseur » dans une pâtisserie et ça m’a beaucoup plu.

J’ai le sentiment que nous sommes tous toujours en évolution, en question, et mon métier aussi. D’une certaine façon, c’est lui qui me façonne.

Parole recueillie et mise en récit par Pierre R.,
dans le cadre du projet “Travail et Territoire“
conduit par le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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