« Ce que nous voyons, c’est qu’ils sont toujours présents avec leur bonne humeur »

Dominique, bénévole à la maison de quartier La Chesnaie-Trébale pour les cours d’alphabétisation

Maison de quartier de La Chesnaie

Il est 9h20 le mardi ou le jeudi, dans la grande salle de la maison de quartier de la Chesnaie-Trébale. Avec l’un de mes trois collègues, nous installons les tables et les chaises pour accueillir les migrants qui viennent participer à des cours d’alphabétisation. Notre objectif est de faire découvrir la langue française à ces personnes venues d’ailleurs et de les aider à s’exprimer et à écrire dans notre langue si difficile à assimiler quand on est primo-migrants. La langue est le sésame sans lequel il leur sera difficile de s’intégrer dans notre société. Mon collègue Dominique et moi-même – dénommé pareillement Dominique – formons un duo jovial de retraités bénévoles qui s’attellent à cette tâche avec bienveillance et bonne humeur.

Les migrants dont nous nous occupons n’ont jamais été scolarisés dans leur pays. Ceux qui possèdent malgré tout quelques rudiments en matière de lecture et d’écriture découvrent un nouvel alphabet et une écriture de gauche à droite. Quelques-uns n’ont aucune notion. Nous formons donc des petits groupes de quatre ou cinq personnes de niveau équivalent qui se répartissent dans cette grande salle. Surtout pas de cours magistral ! Il s’agit de les faire parler, de façon à ce qu’ils ou elles puissent commencer à échanger dans notre langue, expédier des colis vers leur pays. Nous leur faisons découvrir les noms des fruits et légumes et nous simulons des situations où ils/elles font leurs achats en supermarché. L’étape suivante consiste à passer à l’écriture des mots, distinguer le masculin et le féminin, lire et écrire une phrase simple.

Repas partagé d’avril 2025

Les participants réussissent désormais à se présenter et à nous faire découvrir leur monde. Lors de repas partagés, chacune et chacun apporte un petit aperçu de son pays. Et l’année se termine par une sortie en bus pour visiter un quartier de Saint-Nazaire qu’ils ou elles ne connaissent pas. L’année dernière, nous sommes allés sur le toit de la base sous-marine pour découvrir les bassins, les navires en construction, le quartier du Petit Maroc, le pont et, au loin, la Loire avec les usines massées sur ses rives. Cette année, nous reprenons le bus pour visiter la plage de Monsieur Hulot à Saint-Marc sur mer.

© Ville de Saint-Nazaire

Une heure et demie de répétitions de mots, de réécriture sur l’ardoise, réclame de la part de mon ami et de moi-même beaucoup de présence et de tension. Nous avons alors bien besoin de décompresser. Les apprentissages progressent lentement et nous savons bien que nos « élèves » auront oublié la majorité des mots que nous avons expliqués, répétés, écrits. Continuent-ils de parler français une fois franchies les portes de la maison de quartier ? Nous n’en savons rien. Ce que nous voyons, c’est qu’ils sont toujours présents avec leur bonne humeur. Nous nous disons qu’ainsi, nous aurons réussi un tout petit peu à les intégrer dans notre société devenue si individualiste. À défaut de leur avoir permis de parfaitement maîtriser notre langue, nous serons au moins parvenus à tisser des liens sociaux avec ces habitants de Saint-Nazaire, qui, arrivant « d’un autre monde » sont isolés et ignorés. En retour, les relations chaleureuses que nous nouons avec chacune et chacun nous enrichissent soir après soir.

  Il y a Soilihati la Comorienne, Quinta la Guinéenne, Hassan et Alseyd les Soudanais. Voici Ayan et Farhya les Somaliennes, Fatima la mahoraise, Léonarda la Guinéenne de Bissau. Près de la fenêtre, j’aperçois Rashia du Daghestan, Mariama la Malgache puis Comorienne, Mariamou la Comorienne. Et puis Farida la Franco-Algérienne, Hanane la Marocaine. Plus loin : Chababi le Comorien, Khadija la Tunisienne, Omar le Sénégalais. Sans oublier Noorzia l’Afghanne avec ses deux filles Samina et Sahina, Gyosal l’Arménienne, Farhia l’Érytréenne, John-Jack le Soudanais du sud, Hassan le Sri-lankais.
●  et tous ceux et toutes celles qui sont repartis vers un ailleurs à la recherche du bonheur ou qu’on a expulsés vers leurs pays d’origine.

Quelquefois, après un ou deux ans de cours d’alphabétisation, les plus jeunes parviennent à rejoindre le cours supérieur « FLE (Français Langue Étrangère) », ce qui leur permettra, peut-être, d’obtenir un jour la nationalité française. C’est un long chemin semé d’obstacles. Souvent, pourtant, ils préfèrent rester dans notre « cours de sociabilisation » pour continuer à participer aux jeux que nous inventons pour apprendre des mots, des phrases, des chiffres et, surtout, passer une heure trente entre nous. Parfois, on met la musique et la séance se termine par une séquence de danse. Quel plaisir de les voir transfiguré(e)s par le son des chants venus de leur pays. Quel engagement dans leur volonté d’apprendre et quel parcours condensé dans ce moment festif !

Et nous ? Quelle serait notre vie si nous étions apprenants en Somalie ou en Guinée ?

Parole mise en récit avec l’aide de Pierre
dans le cadre du projet “Travail et territoire”
conduit par le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire

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🔗 Article paru initialement sur le site le site de la Compagnie Pourquoi se lever tôt le matin !

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